Le développement durable, au cœur du quotidien des établissements

Les établissements sanitaires et médico-sociaux intègrent désormais le sujet de la transition écologique et du développement durable dans leur politique générale. Si certains ont été plus précurseurs que d’autres, tous se montrent aujourd’hui volontaristes et les chantiers sont nombreux : achats et alimentation durables, mobilités douces et décarbonées, maîtrise voire réduction des consommations d’énergie, gestion et tri des déchets, rénovation du bâti et constructions durables, qualité de vie au travail… Illustration avec quatre retours d’expériences.
« Il y a eu une vraie prise de conscience de la part du secteur que l’exemplarité en matière de développement peut être réelle, souligne François Mourgues, Président du Comité pour le développement durable en santé (CD2S) créé dès les années 2000 pour porter ce message. Par ailleurs, engager une démarche de développement durable profite à l’image de l’établissement auprès des professionnels comme des usagers. Sans oublier que cet engagement vertueux a de nombreuses retombées bénéfiques, y compris sur le plan économique. » Mais qu’en est-il en pratique ? Comment font les établissements et leurs partenaires pour mener à bien leurs projets de développement durable en santé ?
Professeur Patrick Pessaux, Président du comité « Transition Écologie en santé » de la FHF
Une démarche globale et des actions à l’échelle des services
Le Professeur Patrick Pessaux, chef de service Chirurgie Viscérale et Digestive du CHU de Strasbourg, Président du comité « Transition Écologie en santé » de la FHF, Président du Collectif d’EcoResponsabilité en Santé (CERES), estime que les établissements sont entrés dans une nouvelle phase de généralisation opérationnelle.
« Tous les établissements sont désormais entrés dans des démarches vertueuses environnementales, dans ce sens, certains plus précocement que d’autres ce qui rend le paysage des chantiers en cours assez hétérogène. Depuis quelques années on a vu de nombreux projets élaborés par les différentes équipes dans les différents services : soins, restauration, filière de tri des déchets, logistique, hygiène… Et aujourd’hui, on entre dans une deuxième étape de généralisation où les établissements font de ces projets une politique générale et institutionnalisée.
Au début, il faut reconnaître que comme les initiatives partaient vraiment du terrain, il n’y avait pas forcément de hiérarchisation ou de priorisation si bien que certains chantiers n’ont pas forcément eu les résultats escomptés. Moi-même, j’avais mis en place un projet sur les déchets dans les blocs opératoires qui n’a pas eu un impact global très convaincant.
En revanche, c’est extrêmement valorisant pour les équipes et un projet vertueux a un effet levier pour donner du sens au métier. Et certains petits chantiers sont plus visibles pour les équipes et donc plus « motivant » que des actions qui auront beaucoup plus d’impact comme le changement d’une chaudière énergivore mais que l’on ne voit pas. Il faut vraiment mener les deux : une démarche générale de développement durable et des actions à l’échelle des services qui vont agir comme un moteur et donner du sens.
Et bien sûr, il faut que la troisième étape – celle d’une vraie politique nationale avec un agenda, une planification et des objectifs – se mette en place : cela permettra aux établissements de mener leurs actions de façon plus structurée… tout en tenant compte de son identité et de ses spécificités ! »
Claude Rolland, Bouygues Bâtiment France Europe
Prendre le temps de penser sa rénovation énergétique
Claude Rolland, Directeur de la Business Line Santé de Bouygues Bâtiment France Europe témoigne du fait que la dimension développement durable a dorénavant rejoint celle de la fonctionnalité dans les projets de construction des établissements.
« La transition énergétique doit être mûrement pensée. Avec l’augmentation très forte du prix de l’énergie, les établissements se retrouvent face à un déficit dû à ces dépenses. A cela s’ajoutent des objectifs réglementaires très forts, qui entraînent nos clients à engager d’importants travaux de rénovation énergétique. Et si l’on a longtemps pensé fonctionnalité, les constructeurs et les établissements pensent désormais également développement durable. Et des solutions existent !
Par exemple, nous travaillons sur des solutions techniques comme du béton bas carbone ou une industrialisation des éléments, laquelle facilite la réalisation du chantier, réduit les malfaçons et les pertes de matières premières. Nous travaillons également avec les architectes pour réduire les surfaces inutiles et donc, les pertes énergétiques : plus le bâtiment est compact, moins il consomme. Et plus il est facile à chauffer et à refroidir, un point crucial. On parle souvent du chaud mais, aujourd’hui, le froid est un vrai problème. Avec une haute performance énergétique, on n’a presque plus besoin de chauffer mais il faut trois fois plus d’installations techniques pour faire du froid et la consommation est deux fois plus importante que pour faire du chaud. Pour ce faire, le refroidissement adiabatique est désormais privilégié : on récupère l’air du bâtiment, on le fait passer dans un échanguer d’eau froide et cela refroidit l’air sans contact avec l’eau. Cela consomme peu d’eau et très peu d’énergie et on gagne entre 5 et 7-8 degrés. D’autres techniques de refroidissement naturel sont utilisées depuis des siècles dans les pays du Maghreb… D’ailleurs, dans le développement durable, on se demande pourquoi on n’a pas pensé plus tôt à telle ou telle solution technique qui souvent existe depuis longtemps. »
Walid Ben Brahim, UniHA
Coconstruire les politiques d’achats durables vertueuses
Les groupements d’achat ont un rôle essentiel à jouer pour les politiques d’achats durables des établissements, reconnait Walid Ben Brahim, Directeur général UniHA. Il nous explique quels sont ses leviers d’action.
« Avec la Conférence des Directeurs généraux des CHU, UniHA mène une réflexion et un travail de fond sur les politiques d’achats durables. Le secteur est très concerné et, en tant que groupement d’achat, nous sommes à leur service pour les accompagner. C’est une réelle co-construction avec les établissements mais également avec les industriels.
Les achats peuvent représenter jusqu’à 60 % du bilan carbone des hôpitaux. Il faut donc avoir une démarche proactive pour diminuer cet impact. Et si nous avons toujours prêté une grande attention à certains critères, comme la démarche RSE de nos fournisseurs par exemple, nous sommes désormais passés à un niveau supérieur en demandant des solutions ou des produits qui vont impacter directement et positivement le bilan carbone des établissements. Nous ne demandons plus seulement de l’exemplarité, en matière de politique RSE, nous attendons de nos fournisseurs qu’ils nous proposent des solutions vertueuses. Que ces dernières soient favorables à la transition énergétique ou qu’elles s’appuient sur des circuits courts, une économie circulaire, des pratiques de réutilisation, etc.
Un exemple emblématique : en tant que premier acheteur d’énergie pour les établissements, il nous faut fournir autant d’énergie que de solutions d’efficacité énergétique. Très concrètement, nous avons par exemple mis en place un marché de relamping qui consiste à renouveler l’intégralité du parc d’éclairage d’un bâtiment afin de réaliser, par la suite, des économies d’énergie. Comme cela demande un investissement important, celui-ci est avancé à l’hôpital qui rembourse au fur et à mesure en fonction des économies effectivement réalisées. Les CH de Grenoble, Lille, Nice et Bordeaux ont déjà bénéficié de ce système, en partenariat financier avec la Banque des Territoires.
Concernant les médicaments dont la production est très énergivore, nous demandons aux fabricants des éléments précis d’analyse de la chaîne de production et d’approvisionnement afin de noter la vertu de leur cycle en termes de bilan carbone.
Nous impulsons également une forte politique de reconditionnement des matériels et équipements. Cela demande d’y sensibiliser les industriels et les équipes hospitalières et de leur donner des garanties d’achat pour les premiers et de qualité pour les seconds : nous agissons alors en tant que tiers de confiance. Et le changement de mentalités s’opère ! Et pour cause : le développement durable est porté par un mouvement de fond extrêmement fédérateur. »
Marielle Pierdon, Resah
Partager les expertises et les bonnes pratiques
Marielle Pierdon, Cheffe de projet RSE, Resah
« La crise sanitaire a révélé une dépendance très forte en termes d’achats, notamment auprès des marchés asiatiques, provoquant dans le secteur une réflexion et une réaction quant à la façon de mener les politiques d’achats. Et, depuis 2 ou 3 ans, on constate une réelle montée en compétences avec la mise en place de stratégies d’achats durables, portées par une orientation nationale qui va dans ce sens. Même si, il faut le reconnaître, la situation est plus hétérogène dans le secteur médico-social dont les établissements ne bénéficient pas de la force de mutualisation des GHT. L’envie et la motivation sont partagées par tous mais il faut des acheteurs formés pour que la dynamique continue.
Il persiste en effet un manque de ressources et d’expertise car il est essentiel d’être formé à l’achat responsable et à ses techniques (étude des coûts complets, analysé des cycles de vie…). Quant au versant financier, quand on analyse de manière globale, on se rend vite compte que les intérêts économiques sont très importants sur des considérations d’achats durables.
Il faut aussi donner à ces experts et à ces techniciens le temps et les ressources pour mener à bien une démarche d’achats durables. Et c’est là qu’intervient le Resah dont le cœur de métier est d’accompagner les établissements et de former leurs acheteurs. Ceux-ci peuvent s’adosser à notre structure qui a l’expertise et les moyens de mettre en œuvre les outils, la méthodologie (notamment via notre « Guide de l’acheteur hospitalier responsable ») et l’ingénierie nécessaires, dans un démarche labellisée Développement Durable. Nous diffusons également une toute nouvelle newsletter trimestrielle pour alerter sur les nouveautés, les impératifs réglementaires et les orientations nationales.
Pour nous, le partage de bonnes pratiques est essentiel. Ainsi, nous avons lancé l’année dernière un appel à manifestation d’intérêt et avons travaillé avec 10 établissements qui souhaitaient mettre en place une démarche d’achats responsables. Nous en avons tiré des fiches actions avec les prérequis, les points indispensables et des retours d’expériences afin d’aider les autres établissements qui souhaiteraient s’engager. Et nous menons actuellement le même travail sur les achats durables en restauration. »
Comme les acteurs présents à SantExpo le démontrent, le développement durable et la transition écologique ont largement dépassé les déclarations d’intention. Les établissements sanitaires et médico-sociaux s’y investissement pleinement aujourd’hui, de manière de plus en plus structurée et concrète. Dépassant les obligations réglementaires, ils y trouvent une source d’optimisation de leurs dépenses mais aussi une démarche fédératrice porteuse de sens pour tous les acteurs de l’établissement.